nothing left to say≈ 001. De la grande fratrie des Ó Seadhgha, Essylt est celle qui de son sourire constamment gravé sur ses fines lèvres amène le bonheur. Celle qui de ses yeux malicieux réchauffe les cœurs. Celle dont le rire exhale l’innocence ; mais elle ne peut rester enfermée, elle ne peut s’empêcher de gambader, la joie aux lèvres, dans les rues de sa ville natale malgré toutes les mises en garde de sa mère. Alors elle avait l’habitude de plonger ses prunelles sévères dans le regard enfantin de sa fille, de la sermonner, lui rappelant toutes les valeurs de la noblesse qu’elle se devait, en noble de son état, de respecter. Pourtant lorsque la mère détournait les yeux l’enfant était déjà partie, soulevant les pans de sa robe afin que celle-ci ne soit pas salie. Elle restait tout de même noble dans sa manière d’être et déjà ses cheveux blonds avaient cette splendeur que tous déjà lui enviaient. ≈ 002. Enfant, il n’était pas rare de la voir au coin du feu, les prunelles fixées sur les flammes qui dansaient, écoutant la douce et la mélodieuse voix de la vieille femme engagée par sa mère pour raconter des histoires aux sept enfants de la famille Ó Seadhgha. Bercée par les légendes et les mythes depuis la tendre période où elle pouvait perdre son esprit dans la contemplation des flammes, désormais elle éprouve une étrange fascination pour toutes ces vieilles histoires auxquelles certains ne prêtent pas attention. ≈ 003. Déjà quinze ans que son jumeau a quitté l’Irlande pour s’engager dans la piraterie ; déjà quinze ans qu’il l'a abandonnée, qu'elle s'est sentie devenir orpheline, alors qu'elle quémandait de partir avec lui. Mais malgré ses plaintes, malgré son espoir de partir avec lui, son refus a résonné dans le cœur d’Essylt comme un poignard qu’on lui enfoncerait dans le dos. ≈ 004. Elle sait jouer de ses charmes, elle sait se rendre désirée l’enfant heureuse l’enfant rieuse, elle sait obtenir ce dont elle a besoin la têtue, l’obstinée. Une lueur ardente et passionnée apparaît dans ses yeux lorsqu’elle est déterminée, lorsqu’elle devient capable de tout. ≈ 005. Elle n’est pas une habituée de la haine, mais les Anglais ont le don de la mettre hors d’elle, cet insupportable peuple qui a osé faire couler le sang sur sa belle Irlande natale, de surcroît de celui dont elle était tombée amoureuse. Elle ne peut donc  s’empêcher de devenir mesquine et cynique en leur présence et ne peut cacher cette haine tapie qui patiente avant de sauter sur sa proie. Elle a d’ailleurs très mal vécu l’exil de sa famille en France, bien que ce pays lui soit très agréable. ≈ 006. Elle rêve encore de son père, étendu sur le sol, sans un soupir, sans un battement de cœur, et se réveille parfois en hurlant. C’est la mort de ce dernier qui l’a convaincue de partir à la recherche de son frère ; il est sans nul doute encore vivant, et elle s’est fait la promesse de le retrouver. De le ramener en France afin qu’il remplisse son devoir de digne héritier de la famille Ó Seadhgha. Dire qu'elle allait le ramener « à la maison » serait bien ironique, puisqu’ils n’en ont plus réellement. La cour de France les a accueillis, ces déchus du destin, mais combien de temps encore le fera-t-elle ? ≈ 007. Elle a toute foi en l’Église et en sa foi chrétienne, considère et espère que le Jugement Dernier l’enverra au paradis ; pour cela elle résiste comme elle le peut aux péchés de ce monde, mais ne s’enferme pas dans un couvent pour autant. Toutes les tortures exercées par sa famille depuis des décennies ne la dégoûtent pas, bien qu’elle éprouve une certaine crainte d’un jour se retrouver dans le même état que tous ces prisonniers et gens indésirables. Mais désormais, elle a commis le pire des péchés et la culpabilité n’a de cesse de la ronger ; toutefois, aussi confuse soit-elle d’avoir tenu son frère jumeau entre ses cuisses, elle ne pourra jamais l’être autant que lorsqu’elle découvrira que cette nuit d’amour a engendré un enfant... ≈ 008. Les pirates sont pour elles ce que les voleurs sont aux hommes ; ils ne sont que brutalité, qu’animalité, et elle ne peut que s’en vouloir de n’avoir pu résister au péché de la chair. Pourtant, d’une certaine manière elle admire leur courage et envie leur liberté. Si seulement Sloan l’avait emmenée avec lui, elle aussi aurait pu devenir pirate, mais peut-être la pensait-il trop fragile ? Raisons perdues, raisons inconnues, peu lui importe, elle ne lui a pas pardonné cet abandon. ≈ 009. Malgré sa condition de noble, c’est avec le peuple qu’on la voit la belle Essylt, donnant à manger aux enfants, de l’argent aux parents, essayant d’aider comme elle le peut un monde qui n’est pas le sien, qui ne l’a jamais été et qui ne le sera sans doute jamais. Certains la disent lâche, d’autres hypocrite mais qu’importe, elle ne désire qu’aider et, dans un sens, a l’espoir que ces actes puissent pardonner ses péchés. ≈ 010. Déçue, son amour volé par les Anglais, elle ne fait plus confiance à ces hommes trop certains d’eux-mêmes, qui ne voient en elle qu’une belle jeune femme riche ; sa mère l’autoritaire aimerait pourtant que sa fille lui rende honneur et fierté. Qu’elle ramène pour leur famille les terres perdues d’Irlande. Le coeur de la belle est déjà voué à quelqu’un, mais sa mère ne sera probablement pas du même avis...