nothing left to say≈ 001. La femme qui l'a mise au monde était une putain qui vivait de cette profession afin de subsister. Elle s'appelait Elizabeth, vivait dans la décadence et dans des conditions de vie déplorables. Elle avait pour obligation de traîner ses hanches sur le parquet souillé du bordel, d'aguicher les étrangers et les natifs du pays afin de se constituer un revenu. De son sourire railleur, elle avait approché cet homme fortuné. Le brin de mystère qui émanait de l'individu l'avait tout de suite attiré et elle en avait profité pour exercer ses charmes qui ne l'avaient pas laissé indifférent. Cet homme n'était autre que le père d'Idelle, celui qui avait laissé une partie de son essence dans le corps de la femme, celui qui, à jamais, l'avait souillé et maculé. Celui qui l'avait abandonné alors qu'il connaissait les faits et le contexte, qui l'avait mise dans cette situation. Celui qui, en connaissance de cause, préféra tourner le dos à Elizabeth afin de ne jamais recroiser ce faciès qui lui avait pourtant procuré un certain plaisir. Jamais Idelle n'a voulu savoir qui se cachait derrière cette ombre, jamais elle n'avait voulu en savoir plus quant au personnage qui la répugnait tant. ≈ 002. Elle se souvient qu'enfant, elle restait constamment dans la pièce que sa mère avait loué alors qu'elle était encore envie. Idelle ne sortait que très rarement, sa mère essayant de la protéger des dangers extérieurs. Elle ne comptait pas laisser sa fille s'en aller, elle la pensait plus en sécurité dans les appartements des employés du bordel que dans les rues qui regorgeaient d'individus malfaisants. Enfermée dans ce qu'elle considérait comme son seul espace vital, elle passait ses journées à observer par la seule fenêtre ou elle s'occupait avec le métier à tisser que sa mère avait réussi à lui payer. C'était quelque chose de vétuste, mais elle l'appréciait à sa juste valeur. ≈ 003. Idelle possède un don de voyance. Les premiers signes se manifestèrent durant son adolescence, alors qu'elle vadrouillait farouchement dans les ruelles de villages et de métropoles. Pensant dans un premier temps halluciner, ou devenir simplement aliénée, elle garda le silence, préférant éviter de possibles rumeurs et on-dits à son sujet. Rien n'était sûr, et elle ne voulait pas s'avancer sur son soit disant dérèglement mental. Se rendant compte que ce qu'elle percevait n'avait rien d'une maladie mais que cela lui montrait des passages de l'avenir, elle trouva le moyen de se faire un nom en Grande-Bretagne. On venait la voir pour quémander ses services, et elle dû pratiquer de longues années avant de savoir réellement et instinctivement commander cette faculté. ≈ 004. La jeune blonde quitta son territoire natal en 1709, il y a de cela un an. Lors de ses premières réflexions sur le fait de déserter la Grande-Bretagne, elle n'avait aucune idée précise de l'emplacement où elle souhaitait se diriger. Idelle n'avait jamais quitté les environs et elle ne savait pas à quoi s'attendre en se dirigeant vers un inconnu qui, au plus profond de ses entrailles, l’effrayait. Mais avec les tensions qui régnait là où sa silhouette s'apercevait, elle savait qu'elle ne pouvait rester plus longtemps dans un endroit où les citoyens la voyaient d'un mauvais œil. « Sorcière », « Thaumaturge », « Imposteur », « Histrion ». Des surnoms peu flatteurs pour celle qui s'efforçait de venir en aide à ceux qui le désiraient et qui éprouvaient ce besoin. ≈ 005. Son don de voyance lui a permis de gagner sa vie en toute honnêteté. Ou presque. Idelle n'était que peu fière de ses agissements qu'elle avait commis par le passé. Elle était à l'origine de nombreux pillages et vols dans les rues commerçantes. Elle se découvrait des capacités qu'elle n'avait jamais mise à l'épreuve car elle n'en avait pas besoin. Désormais seule et encore bien trop jeune pour travailler convenablement et légalement, elle était l'orpheline du quartier qui prenait ce dont elle avait besoin pour se nourrir, sans en demander la permission. Néanmoins, quand son don se développa, elle tenta de reprendre un chemin qui se basait sur l'honnêteté, la vérité et le respect des autres. Mais quand certaines périodes s'avéraient plus complexes et déplaisantes que d'autres, elle haussait le prix de ses consultations tout en inventant des prévisions. En effet, à ses débuts dans le domaine, elle ne contrôlait pas ce qu'elle voyait et il lui arrivait de ne rien percevoir pendant de nombreux jours. Alors pour tout de même se remplir les poches, elle fabulait et brodait des présages. ≈ 006. Posséder un tel pouvoir n'était pas toujours facile. Idelle n'avait pas demandé à vivre des moments futurs de certaines personnes qu'elle consultait. Surtout quand ces prévisions étaient mauvaises. Lorsqu'elle voyait ces bribes d'instants qui ne s'étaient pas encore déroulés, elle ne savait jamais ce qu'elle devait dire. Évidemment, elle restait toujours honnête mais cela pouvait être délicat d'annoncer d'épouvantables nouvelles. Généralement, quand c'était le cas, la plupart des consultants n'y croyaient pas : il préférait vivre dans le déni plutôt que d'évoquer la possibilité d'un drame. Idelle le comprenait, et c'était pour cela qu'elle essayait toujours de rester subtil dans ses propos quand elle savait que les individus en face d'elle n'allaient pas la croire. Certains la qualifiaient « d'insensible » lorsqu'elle annonçait franchement la prédiction sans aucun détour. ≈ 007. Depuis sont arrivée à Nassau, Idelle se sent beaucoup mieux. Physiquement, comme mentalement. Elle a le cœur léger et l'esprit tranquille, elle n'est pas inquiète par sa situation et par la façon dont sa capacité de voyance est perçue. Les Bahamas, le coin où de nombreux pirates passaient y faire un tour et un détour. Contrairement à la Grande-Bretagne, son don était plus qu'apprécié par ces derniers qui souhaitaient avoir quelques indications avant leur départ en mer. Avec des enjeux et un nombre de vie importants, Idelle ne mentait jamais sur ce qu'elle voyait et ce qu'elle ressentait. Elle ne pouvait tout simplement pas se permettre de mentir, de dire que tout irait bien alors que tout finirait dans un chaos monstrueux, faisant d'elle la complique de la Faucheuse qui viendrait ramasser toutes ces âmes perdues en mer. Certains étaient réticents, certains ne la croyaient pas. Elle ne pouvait rien leur dire, si ce n'était « Vous verrez bien par vous-même ». ≈ 008. Idella était aimante et bienveillante. Mais avec son tempérament difficile à gérer et à apprivoiser, son habitude à toujours parler même quand le silence était d'or, elle se faisait des ennemis. La femme avait la langue bien pendue et ne passait pas par quatre chemins pour exprimer ses pensées et ses idées. Quand elle n'était pas d'accord, elle s'avançait dignement et de façon assurée, elle n'avait pas peur (ou du moins, si elle ressentait un brin de terreur elle se contentait de l'enfouir derrière un visage dur et des traits tirés) et faisait tout pour qu'on l'écoute. C'était une femme, elle n'avait pas toujours son mot à dire et pourtant elle trouvait cela indispensable d'intervenir sur tous les sujets qui la touchaient soit de près, soit de loin, soit pas du tout. ≈ 009. Son cœur avait souffert dès son plus jeune âge. Avec le décès de sa mère, une partie d'elle même s'était en allé la rejoindre dans un autre monde. Elle avait ce vide en elle. Un amour qu'elle n'arrivait pas à donner à qui que ce soit, elle restait la femme solitaire, affirmant son indépendance envers les hommes. Elle était celle qui, déterminée, répétait sans cesse qu'elle était sous aucune emprise et que cette situation allait perdurer à jamais. Elle aimait sa liberté, elle aimait être maîtresse d'elle-même, elle aimait ce gouvernement qu'elle avait instauré dans son esprit. Mais elle n'avait jamais imaginé que tout son empire s'écroulerait, que toute cette façade se briserait morceau par morceau, laissant apparaître ce filet d'amour qui finit par délicatement et dangereusement cerner son cœur à la base si isolé. ≈ 010. Après que le Capitaine Worley ait ramené ce fameux trésor tant convoité par d’innombrables pirates à la recherche d'une fortune prospère, les choses commençaient à changer. Idelle le ressentait. Une menace pesait sur Nassau. Quelque chose de sombre s'était emparé de la ville, elle ne savait dire quoi, elle ne pouvait décrire la sensation qui circulait dans son être lorsque quelqu'un mentionnait ce butin ou simplement l'équipage de Worley. Idelle avait confiance en son instinct et présentement, celui-ci lui disait de ne pas s'approcher de ces êtres qui avaient vraisemblablement ramené quelque chose de malfaisant avec eux. Qu'ils avaient ramené une fatalité dont personne ne pourrait s'échapper. Mais sa curiosité était grande, immense et surtout insatiable. Elle était animée par le désir d'en savoir plus et espérait que ses visions lui donneraient des informations primordiales pour assouvir son indiscrétion.